En avance depuis le début de la saison, la fraîcheur nocturne a quelque peu ralenti la vigne ces dernières semaines. Dans le sud on se trouve désormais dans un millésime « normal ». Arrivé à la floraison, nous espérons une météo agréable, sans excès. Pour l’instant ça s’annonce plutôt bien…
Par Fabrice Langlois
Voici un cri qui résonne dans le monde entier, et cela plusieurs fois par siècle. Mais s’il y a deux endroits où ces paroles ont une saveur particulière c’est à Rome et à Avignon.
« Nous avons un pape !!! »
Je pense qu’après dix ans de recherche, de patience de pugnacité, Yves Gras et son Domaine Santa Duc aurait pu hurler cette « latinerie » comme une victoire. Car s’il y a un endroit où il est difficile de s’implanter en tant que propriétaire, c’est bien à Chateauneuf-du-Pape.
Depuis 2010, après l’acquisition de sa première parcelle, l’adaptation à ses méthodes culturales et jusqu’aux magnifiques vendanges de 2010, il a gardé le silence. Patiemment, sans bruit, pour qu’elle mûrisse jusqu’au jour où après un conclave familial, il baptisa son Chateauneuf-du-Pape « Habemus Papam » !
1ha2 de vigne sur les sols sablonneux proches du quartier de la Font du Loup, un des plus beaux terroirs vers Courthézon. La finesse des sables se ressent dans la texture des tanins, et l’exposition protégée des ardents rayons du soir préserve une finesse aromatique tout en subtilité. Bref, tout le savoir-faire d’Yves Gras sur l’appellation la plus célèbre du monde. Une très grande bouteille !
Mais non ! Ce qui fume comme ça sur la remorque c’est le compost « fait maison » de l’Arjolle, épandu dans la fraîcheure matinale. Pendant que la vigne dort, on s’affaire autour des travaux d’hiver : la taille pour guider le végétal et pour réguler la charge de la récolte 2014, des fosses géologiques pour regarder la vigne d’en bas, du composte pour nourrir la vigne, pour améliorer la structure du sol et la capacité de rétention d’eau.
Nous avons commencé les vendanges le vendredi 27 septembre dans nos Syrah à Chateauneuf-du-Pape, suivi par quelques Grenache pour nos Côtes du Rhône et à Vacqueyras. Le premier constat : une très belle qualité pour tous les cépages. Dans certains secteurs les rendements sur le Grenache sont très faibles, ce qui est lié à la coulure après la fleur. Malgré les conditions météorologiques capricieuses en début du millésime, les raisins sont sains et juteux, et les quelques parcelles sur Roaix et Rasteau touchées par la grêle au mois de juillet, ne présentaient pas de dégâts sur les fruits.
Tout au long de la cueillette, le temps s’est montré clément, avec un retour du soleil et des températures plutôt chaudes. Les quelques orages à la fin du mois de septembre on surtout bénéficié aux Mourvèdre et aux parcelles du lieu-dit « Derrière Vieille », situé en altitude au-dessus de Gigondas.
Les premières dégustations des vins en fermentation confirment le promesses faites par les raisins : beaucoup de fruit et une très belle fraîcheur pour les Grenache, une pulpe fruitée et des pellicules épicées pour les Syrah, un fruit croquant et des tanins fins pour les Mourvèdre. L’ensemble des raisins récoltés montre des concentrations modérées en sucres, ce qui promet de vins avec un très bel équilibre entre fraîcheur, volume et structure.
De Vienne à Valence, sur la rive droite du Rhône, se dressent tel un mur de vignes les Côtes du Rhône septentrionaux sur des parcelles et des terrasses granitiques et escarpées : Côte Rôtie, Condrieu, Saint Joseph, Cornas et Saint Péray du nord au sud. Rive gauche, la situation semble moins théâtrale. En tout cas ce qui concerne le vignoble de Crozes Hermitage, la plus grande des AOP du nord, avec une topographie plus sereine et plus vallonnée. Pour y trouver des terrasses et des vignes qui s’accrochent au-dessus des eaux calmes et profondes du Rhône, il faut s’avancer vers la colline d’Hermitage, une des montagnes sacrées du monde vinicole.
La vue est magnifique dans ces vignobles, d’en haut comme d’en bas, côté ciel comme côté fleuve. Et oui, c’est exactement ça : par moment ces vignobles semblent suspendus quelque part entre le grand fleuve tranquille et le ciel bleu clair. On peut d’ailleurs avoir la même impression au palais en dégustant les vins les plus réussis de ces terroirs…
Mais si les vignes se plaisent dans ces lieux à la topographie et géologie peu commune, leur culture demande des efforts supplémentaires aux hommes et femmes. Tandis que dans d’autres parties de la vallée du Rhône le choix entre une culture mécanisée ou plutôt manuelle revient aux exploitants, ici c’est la folie de la nature et du terrain qui s’impose. Construire et entretenir des murettes pour retenir la terre, labourer le sol avec des tracteurs chenille et au treuil, maintenir l’herbe par la pioche, attacher le végétal de chaque pied de vigne à son échalas, transporter l’appareil à traitement sur le dos - tout se fait à la main et avec les pieds, la force des pentes ne laissant que peu de place aux machines.
Il en va évidemment de même pour les vendanges, qui se déroulent habituellement courant septembre et début octobre. Les équipes de vendangeurs montent dans le vignoble à la fraîcheur du matin, d’abord en voiture, mini bus et tracteur, puis à pied. Les coupeurs se déploient dans les rangs et sur les terrasses, tandis que les porteurs font des allers-retours avec leurs hottes sur le dos, afin de cueillir les raisins coupés. Ce travail permet un premier tri de la vendange, avant le transport des raisins à la cave dans des cagettes ou dans des petites bennes. Aux efforts traditionnels des vendangeurs - les éternels vas et viens, les dos courbés, la marche pénible sur les sols caillouteux, le poids du seau plein de raisins - s’ajoutent ici la pente. Parfois fort de 50% ou plus, on la parcours en suivant de petits chemins et des escaliers en pierre entre les terrasses jusqu’aux tracteurs.
Faut-il être fou pour venir et revenir faire les vendanges dans ces vignobles ? Passionné au moins, voir amoureux de cette terre et sa tranquillité, de ces terrasses et leur vue sur la vallée du Rhône, et du vin, bien évidemment. Et vous savez tous que ça aide, l’amour, à rendre les pentes plus douces et les seaux moins lourds, et que ça permet de travailler avec le sourire. Car ceux qui ont déjà fait des vendanges savent, que plus c’est pénible, plus on rit. Au plus tard le soir, les pieds au repos, un verre de syrah à la main…
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